vendredi 30 décembre 2011

Locke & Key - Joe Hill + Gabriel Rodriguez

Titre : Locke & Key
Scénariste : Joe Hill (USA)
Dessinateur : Gabriel Rodriguez (Chili)
Editions Milady : 2010 (VO, 2008)


Premier tome d'une série en comprenant actuellement 4, "Bienvenue à Lovecraft" brille par un scénario complexe et intrigant, concocté par Joe Hill (fils d'un certain Stephen King), magnifiquement enrichit par le graphisme de Gabriel Rodriguez.


Dans leur maison secondaire, la famille Locke a été touchée par un drame. En effet, deux adolescents déséquilibrés ont tué le père et ont tenté d'en faire de même avec les autres membres. Mais l'aîné - Tyler - a fracassé avec une brique le crâne de l'un, alors qu'il le menaçait d'une arme. Il s’appelle Sam Lesser et étudiait dans l'établissement de M. Locke, dans lequel celui-ci était conseiller d'orientation. Il a été placé dans un centre pour délinquants mineurs. Son partenaire dégénéré, Al Grubb, n'a pas eu la chance de s'en tirer. L'arrière de son crâne a fait la connaissance brutale d'une hachette, avec les compliments de la mère.

Pour essayer de se reconstruire, la famille habite dans un manoir - le Keyhouse. Les trois enfants vivent avec un énorme poids sur le coeur, trouvant refuge dans ce qu'ils peuvent pour oublier. Mais les tentatives sont souvent vaines. Ils s'apparentent à des ombres errantes, hantées par les évènements. Tyler se réfugie dans des travaux pour la maison et l'entretient du jardin. La fille, Kinsey, angoisse à chaque jour passé à la fac, tous les étudiants étant au courant du massacre. Elle se renferme sur elle-même, craignant jusqu'à son propre reflet.
Quant au petit dernier, Bode, il possède une clé d'une porte du manoir lui permettant de se transformer en fantôme. De plus, dans un puits à l'extérieur de la demeure, il communique avec un écho, plus précisément une défunte femme aux intentions douteuses, que lui seul peut voir...


Entre situations présentes et flashbacks, l'histoire s'intensifie, se densifie, entrouvrant de nombreuses pistes dont la plupart sont encore inexplorées dans ce volume. L'ambiance sombre et malsaine envoûte le lecteur, créant un sentiment de malaise, à commencer par cette "chose" au fond du puits. La personnalité des protagonistes commence à se dessiner, même si l'on devine qu'elle sera par la suite approfondie. Cette mise en bouche captivante et surnaturelle impressionne par son côté labyrinthique et laisse augurer le meilleur. A lire d'urgence !

vendredi 23 décembre 2011

L'oeil du purgatoire - Jacques Spitz

Auteur : Jacques Spitz (France)
Titre : L'oeil du purgatoire
Paru en 1945
Editions : L'arbre vengeur (réédition, 2008)


Publié originellement en 1945, "L'oeil du purgatoire" est une des rares oeuvres encore disponibles dans le commerce, actuellment. On peut trouver aussi plusieurs romans de Spitz aux éditions Bragelonne, regroupés sous le titre "Joyeuses apocalypses", et enfin "La guerre des mouches" aux éditions Ombres.


Un artiste sur le déclin peint des femmes qui lui servent de modèles. C'est grâce à elles qu'il se raccroche au monde, tant l'envie de le quitter lui taraude l'esprit. Mais rapidement, il s'inquiète par l'arrivée de divagations visuelles qui altère sa perception du réel. Pour se rassurer, il consulte un ophtalmologiste, qui ne décèle aucune anomalie. Peut-être est-il victime d'hallucinations passagères ? Toujours est-il que son Mal persiste. Pire, il s'accentue. En effet, parmi les humains, il en distingue qui ont clairement une apparence cadavérique. Lui seul semble le remarquer. Quitte à passer pour un demeuré, il se rend chez un médecin... qui se moque gentiment de lui. Furieux, il quitte le cabinet sans demander son reste. Les jours défilent et rien ne change. Le peintre constate que tout ce qui est périssable (chair, fleurs, papier, etc) s'altère. Il s'interroge sur sa capacité à pressentir l'avenir, à avoir un coup d'avance sur le devenir des choses.
C'est par une lettre d'un savant fou qu'il a rencontré, que l'artiste, subjugué, apprend que celui-ci lui a administré un bacille en lieu et place de médicaments pour sa migraine. Selon ce scientifique, il s'agit pour le cobaye, de faire un voyage dans la causalité. Ainsi, impuissant, il assiste à l'agonie du monde, et "il meurt sans grandeur". Le bacille progresse et ses troubles avec. Dorénavant, ce ne sont plus des cadavres qu'il côtoie, mais des squelettes, squelettes qui se transformeront en poussière. Quelle sera l'étape suivante ?  Le malheureux n'est pas au bout de ses peines : "Sous mes yeux, comme un chancre dévorant, s'agrandit un néant que je pressens infini"...


Basé sur une expérience scientifique - la propagation dans un corps humain d'un virus - ce roman voit la déflagration progressive d'un monde sous le regard éberlué d'un homme, qui finira par se replier sur lui-même, ayant la crainte d'être pris pour un fou. Il devient extrêmement froid avec sa petite amie et pour cause : comment prendre du plaisir en faisant l'amour à un cadavre articulé doté de la parole ? Il s'appuie sur la voix afin de reconnaître ses proches, puisque ses ex-semblables ne sont que des squelettes. Simuler un  comportement normal devient un défi chaque jour, et plus le temps passe, plus c'est périlleux. La fin du roman s'avère logique, touchante aussi, apportant la réflexion d'un homme sur la vie qu'il a mené.


Ecrit il y a plus de 60 ans, "L'oeil du purgatoire" n'a pas pris une ride (enfin, façon de parler). Il traite de la folie scientifique et propose une réflexion sur la question du réel. Nous habitons un monde commun que nous ne voyions pas de la même manière eu égard à notre éducation, notre société, à l'usage de drogues ou avec l'altération de fonction(s) de notre organisme par certaines maladies. D'une grande force visuelle et très prenant à lire, cette oeuvre est un véritable joyau que nous vous recommandons chaudement.

samedi 17 décembre 2011

Quinzinzinzili - Régis Messac

Auteur : Régis Messac
Titre : Quinzinzinzili
Paru en 1935 [2009 pour la présente réédition]
Editions L'arbre vengeur


Enseignant, critique, traducteur et écrivain, Régis Messac fit une thèse sur le "roman de détection" (polar de l'époque) et publia des dystopies telles "Quinzinzinzili" ou "La cité des asphyxiés" dans les années 30 qui en font un des précurseurs du genre. En effet sa vision pessimiste de l'humanité éclata au grand jour avec ce texte sombre mâtiné d'un soupçon d'ironie.


Le narrateur se demande encore si son récit contient une quelconque crédibilité (est-il fou ?) ou si ce n'est qu'un rêve. Quoiqu'il en soit, il écrit son expérience pour la transmettre aux générations futures, d'un point de vue historique. Tout débute dans les années 30 avec un conflit planétaire qui débouche sur la seconde guerre mondiale. Un japonais mis au point un gaz lourd hilarant qui, au contact de l'oxygène, provoquait la mort de ceux qui l'avaient inhalés. Ainsi "l'humanité mourut en ricanant". Ce gaz modifia le climat devenu une furie qui ravagea les habitations par des cyclones, des raz de marée ou encore par des éruptions volcaniques.

Le narrateur survit seul, avec quelques enfants tuberculeux. Réfugiés dans une grotte, ceux-ci sont rapidement confrontés à l'absence de nourriture. De plus, le champ de découvertes et d'expérimentations étant particulièrement restreints, les enfants voient leurs connaissances réduites à une peau de chagrin. Ils inventent une espèce de charabia dont le mot "Quinzinzinzili" évoque tantôt Dieu, tantôt d'autres objets ou choses qui leurs sont inconnus. Ils récitent une prière-incantation quotidiennement. D'autres "mots" viennent redéfinir le monde, tel qu'ils le voient. Cette bande de gamins ne brille pas par leur intelligence, ce qui exaspère et fait rire notre narrateur devant ce tissu de conneries : quid de cette nouvelle humanité ? Primitive - Brutale - Crétine...


Après la catastrophe - une seconde guerre mondiale qui a anéantit la majorité des humains - Messac imagine une nouvelle civilisation renaissante, via le regard désabusé et ironique du dernier être "humain". Communiquant par une novlangue à la pauvreté abyssale, les enfants sont rarement valorisés. Ce sont plus des sons barbares que des sons civilisés qui jaillissent de leurs bouches, infectes et puantes. Ils découvrent l'amour, ou plutôt la sexualité car les sentiments sont au placard ; définissent une société non plus patriarcale mais matriarcale (avec la présence d'une seule femme dans le groupe des survivants) ; apprennent le prolongement du bras par l'intermédiaire d'un objet ou d'un outil (idée également présente dans 2001 de Kubrick) ; ou encore ignorent les rites funéraires alors qu'ils usent de rites grotesques pour d'autres gestes a priori anodins (craquer une allumette par ex.).


"Quinzinzinzili" met en lumière un avenir pour l'espèce humaine peu reluisant et profondément pessimiste. Cependant, le tableau n'est pas complètement noir puisque l'auteur n'oublie pas de porter un regard ironique, presque paternel, sur les bêtises des enfants. Il est vrai que notre intelligence en prend un sacré coup sur la cafetière, mais d'un autre côté, les anciens problèmes liés à la société industrielle sont enrayés pour ne laisser place qu'à celui de l'instinct de survie. Après tout, si ces imbéciles sont heureux, n'est-ce point là l'essentiel ?
Grinçant à souhait et élégamment écrit, voici une oeuvre belle et forte qui ne devrait pas vous laisser indifférent.

vendredi 9 décembre 2011

Le fruit défendu - Theodore Francis Powys

Auteur : Theodore Francis Powys (Angleterre)
Titre : Le fruit défendu
Editions L'arbre vengeur
Parution : 2006


Theodore Francis Powys avait pour frères deux autres écrivains talentueux - John Cowper et Llewelyn -, et c'est sans doute à lui que l'on doit l'oeuvre la plus débridée. Il quitta l'école à quinze ans pour faire un apprentissage à la ferme. Plus tard, ne fructifiant pas sa propre ferme, il décida en 1901 de se consacrer à l'écriture. Son oeuvre est largement inspirée de la Bible comme en témoignent les trois textes réunis ici : "Le fruit défendu", qui date de 1927 ; "Quand tu étais nue" de 1931 et enfin "Les grilles d'or" de 1926.


"Le fruit défendu" raconte l'histoire d'un fermier dont la mère vient d'être enterrée. Celle-ci refusait catégoriquement que son fils ramène une fille à la maison. A peine un mois plus tard, il se marie avec sa voisine, bien que ressemblant à un "tronc noueux". Ses pommes sont la chose la plus importante à ses yeux. Il surprend la fille de son ouvrier en train d'en dérober et commet un péché. Lorsque l'on se demande ce qu'il nous manque encore, la réponse finit toujours par arriver. La novella "Quand tu étais nue" s'appuie beaucoup sur la Bible que le personnage central - lui aussi fermier - acquiert pour seulement un shilling. Son fils est d'avis que ce bouquin est "la plus étrange folie dans le plus étrange des livres". Il prend deux servantes qui répondent au nom de Oholiba (le royaume de Juda) et Ohola (royaume de Samarie) afin de gagner du respect auprès de son voisinage, qui critique ouvertement la pauvreté et la "bassesse" de la famille. Mais ce "voile" sera-t-il suffisant pour gagner leur respect ? Et enfin, le très bref et délicieux "Les grilles d'or" qui démontre une fois de plus que l'argent ne fait pas le bonheur et que le malheur des uns fait le bonheur des autres.


Ces trois récits agréables à lire, sans être de grands textes, sont teintés d'une douceur amère et d'un regard acerbe sur l'être humain, à travers ses faiblesses, son égoïsme ou son manque de tolérance. En sachant que le livre coûte une bouchée de pain, il serait dommage de vous en priver. C'est une belle porte d'entrée pour découvrir un auteur injustement méconnu.

jeudi 1 décembre 2011

Treize à la douzaine - Ernestine et Frank Gilbreth

Titre : Treize à la douzaine
Auteur : Ernestine & Frank Gilbreth (USA)
Parution : 1948
Edition Folio junior : 2008

Récit autobiographique écrit par deux des douze enfants du couple Gilbreth, cette aventure familiale humoristique retrace des tranches de vie allant du mariage des parents jusqu'à l'entrée des premiers rejetons à l'adolescence, avec toutes les complications que cela implique : querelles, conflits, mais aussi bienveillance face aux dangers potentiels.


A chaque nouvel arrivant dans la famille, papa était fier d'annoncer le "dernier modèle", en attendant le suivant bien sûr. D'un commun accord, le couple Gilbreth décida à son mariage d'avoir douze enfants. Chose promise, chose due. Pour organiser tous ce petit monde, des règles furent imposées par le père : en effet, chaque enfant devait se brosser les dents, se laver les mains, faire son lit convenablement chaque matin, puis signer sur un tableau accroché à la porte de la salle de bains, attestant que cela avait été fait. Les fraudeurs étaient très vite démasqués par leur papa, avec les sanctions adéquates. De plus, les plus âgés devaient surveiller les petits, pour "soulager" la maman.
Le chef de famille exerçait la profession d'expert du rendement. Il offrait ses services aux entreprises, accroissant inévitablement leurs résultats. Quant-à sa famille, elle servait de laboratoire expérimental. Ce qui fonctionnait en son sein, le devait également à l'extérieur, et vis versa. Il va sans dire qu'entretenir autant de monde ne laissait guère de place à la fantaisie. Aussi, chaque centime était intelligemment dépensé.
La maman, bien que se rangeant derrière l'autorité de son mari, désapprouvait les punitions et les coups qu'il donnait à ses enfants. De manière générale, cela marchait plutôt bien. Mais les enfants avançaient dans l'âge, et bientôt les premières filles voulaient se maquiller, se parfumer, porter de beaux habits, ce qui mettait leur père dans tous ses états...


"Treize à la douzaine" est un très beau roman, souvent drôle. L'éducation passe sans doute pour autoritaire de la part du père - contrebalancée par la psychologie de la mère - mais se veut avant tout profondément humaine. Derrière ce masque de dureté, se dissimilait un homme qui adorait ses enfants et faisait son possible pour leur transmettre des connaissances (apprentissage de plusieurs langues, du morse, des maths, etc.), le plus souvent sous forme de jeux, avec un petit cadeau pour le premier ayant trouver la réponse. On ressent dans l'écriture le côté "vécu" des deux auteurs, et à en croire la tonalité du livre, cette expérience leurs fut enrichissante.